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Caractères du problème esthétique à la lumière de la phénoménologie critique

di Giovanni Matteucci

1. Je tiens d'abord à remercier de tout cour Jean-Jacques Wunenburger, qui me fait l'honneur de m'accueillir en ces lieux, et me donne ainsi le plaisir de présenter devant vous certains développements de mes recherches[1]. Je définirai ces recherches comme un prolongement (partiel bien entendu) des divers travaux d'esthétique entrepris à Bologne depuis environ un demi-siècle, et qui peuvent être regroupés sous le dénominateur commun de « phénoménologie critique »[2]. Ce que je vais en dire aujourd'hui est né d'un contact étroit avec différentes traditions de la pensée contemporaine, sur la base d'un dialogue noué sous la forme d'analyses et d'interprétations de textes. Outre la phénoménologie dans ses différentes déclinaisons, ces recherches ont plus particulièrement trouvé leurs pôles de référence dans la meditatio vitae de l'école de Dilthey, l'idéalisme critique de Cassirer, et le relationnisme de Enzo Paci[3]. C'est pourquoi le ton un brin péremptoire que, par souci de synthèse, j'ai donné à l'exposé qui suit, ne laisse pas de nourrir en moi quelque appréhension. Que la présente communication m'ait très opportunément permis de rassembler certains résultats de mes recherches ne doit pas vous empêcher de prendre ces résultats comme ce qu'ils sont, je veux dire comme autant de problèmes et de projets tous également sujets à révisions et à reconsidérations, et donc comme autant de propositions de dialogue plutôt que comme des assertions définitives. Je signale d'autre part que, dans ce que vous allez entendre, la locution « problème esthétique » a une double signification, puisqu'elle désigne, d'un côté, le problème de l'aistheton, c'est-à-dire celui de la dimension esthétique de l'expérience, et de l'autre, le problème général d'une esthétique philosophique.

Équivoques et problèmes de l'esthétique : de l'art à l'« aisthesis »

2. Redéfinir le statut de l'esthétique est un objectif qui n'a cessé d'accompagner l'histoire de l'esthétique, et pas seulement dans ses moments de crise. Même lorsqu'on a donné à l'esthétique des déterminations apparemment satisfaisantes, ses élaborations systématiques ont toujours pris leur point de départ dans la mise en évidence de son caractère naturellement équivoque et problématique. Presque tous les traités d'esthétique commencent par définir les frontières à ne pas franchir, sous peine de commettre un délit de hors-sujet, par excès ou par défaut. On pourrait objecter que ces équivoques et ces problèmes paraissent absents des réflexions limitées au seul domaine de la philosophie de l'art. La pensée esthétique, en trouvant son point d'ancrage dans l'art, semblerait s'être libérée des équivoques et des problèmes de principe. Or, même dans ce cas, on peut constater que le statut de l'esthétique n'a jamais obtenu une reconnaissance assez assurée pour que disparaissent les doutes et les interrogations sur sa dignité et sur sa validité. En effet, l'art en lui-même ne contient aucune garantie d'objectivité propre à le faire reconnaître comme tel. Par conséquent, la philosophie de l'art n'a fait le plus souvent qu'ajouter des obscurités nouvelles à ce qui était déjà obscur, des équivoques nouvelles à ce qui était déjà équivoque, et des problèmes nouveaux à ce qui était déjà problématique. Et ce n'est certainement pas en recherchant des définitions « exactes » qu'on trouvera une issue. L'orientation à laquelle je me rattache, à savoir la phénoménologie critique, a maintes fois souligné que l'attitude consistant à vouloir répondre à la question « qu'est-ce que l'art ? » est en elle-même restrictive et dogmatique. Proposer une définition de l'art, c'est toujours aspirer à découvrir une essence, une loi spécifique, valable dans tout contexte puisque censée établir ce qui, par sa « nature propre », est ou n'est pas de l'art. Mais rappelons-nous la mise en garde de Montaigne contre cette attitude normative : « Il y a peu de relation de nos actions, qui sont en perpetuelle mutation, avec les loix fixes et immobiles » (De l'experience[4]). À l'épreuve de l'expérience, une définition normative, essentialiste, est vouée à exclure de ce qu'elle cherche à désigner et à embrasser maints aspects et manifestations qui ne sont nullement secondaires, échouant ainsi dans la tâche qui lui a été confiée.

3. Au cours des dernières décennies ont vu le jour un nombre croissant de tentatives pour faire sortir l'esthétique de la philosophie de l'art[5]. On peut, par commodité, y distinguer deux tendances, qui ne sont pas sans lien, et qui vont même souvent ensemble. D'un côté, on s'est tourné vers les origines de l'esthétique moderne au XVIIIe siècle pour puiser à une conception encore vierge de toute restriction au domaine de l'art ; à cette orientation sont associés des travaux qui cherchent à contrebalancer la conception inaugurée par l'âge romantique et idéaliste de la culture allemande, et par l'âge positiviste de la culture française et britannique. De l'autre côté, on s'est attaché à l'élaboration d'une vision transversale de l'esthétique, qui oscille elle-même entre deux aspirations : d'une part, un projet interdisciplinaire, soucieux de faire son miel des apports des sciences humaines, des sciences cognitives, et des sciences de la culture ; et d'autre part, la référence à une dimension originaire de l'expérience, présente à tout moment de la vie et de la culture, et qui s'est même progressivement accentuée (qu'on pense au thème récurrent de l'esthétisation).

4. Les deux tendances, la tendance historiographique et la tendance théorétique, s'apparentent l'une à l'autre par leur volonté critique, au sens à la fois négatif et positif. Critiques dans le sens négatif du terme, l'une et l'autre veulent abolir les limites sectorielles d'une réflexion esthétique conçue en termes de philosophie de l'art. Certaines reprises de Baumgarten, ainsi que certaines relectures de la trame complexe et unitaire de la troisième Critique de Kant, partent du principe que le terrain d'enquête de la réflexion esthétique excède le seul domaine de l'art ; or, on prononce un jugement identique, mais sub specie theoretica, lorsqu'on s'avise que la réflexion esthétique soulève des problèmes qu'on ne saurait, sauf par quelque artifice, circonscrire à l'expérience de la création et de la jouissance des ouvres d'art. Critiques au sens positif, toutes deux proposent un ancrage nouveau de la réflexion dans la sensibilité, comme thème qui englobe celui, plus spécifique, de l'art. Cette priorité de la référence à l'aisthesis sur la référence à l'art constitue un motif d'insistance qu'on retrouve aussi bien du côté historiographique que du côté théorétique, où, dans un cas comme dans l'autre, une valeur de savoir de base est attribuée à l'étude de la dimension esthétique. Reste cependant à savoir si la simple substitution de l'aisthesis à l'art garantit un fondement solide à la réflexion, et la soustrait au risque du dogmatisme.

Opacité de l'« aistheton » et crise de la positivité

5. Le destin de la discipline esthétique en tant que philosophie de l'art est resté intimement lié à la façon dont, au sein des différents systèmes, était conçu le rapport entre expérience artistique et expérience théorétique, sur fond d'une détermination préalable du lien entre beauté et vérité. Dans ce contexte, l'opacité du problème esthétique a pu être convertie en clarté conceptuelle au prix d'une surdétermination de l'art comme affirmation de vérités - vérités uniquement et abstraitement spéculatives que l'événement esthétique serait chargé de réaliser. Or, si on se borne à substituer l'aisthesis à l'art sans renoncer à cette détermination hétéronome du problème esthétique, on n'échappe pas au vice de fond associé à une semblable attitude intellectualiste. En effet, par opposition à la transparence du noeton, l'opacité de l'aistheton continue à être considérée comme un élément à neutraliser, tantôt par une définition essentialiste de l'art, tantôt par la détermination de l'aisthesis comme lieu de manifestation exemplaire de principes théorétiques. Pourquoi, dès lors, ne pas inverser la démarche ? Inverser la démarche, ce serait se demander si et comment les équivoques et l'opacité n'appellent pas plutôt une attitude non essentialiste et non dogmatique. Et le premier pas dans cette direction consiste à prendre au sérieux la contribution que peut apporter l'aisthesis (et, sous cet angle, l'art) dans la lutte contre les impérialismes théorétiques.

6. Dans le double but d'écarter les prétentions de l'absolue rationalité sans pour autant verser - avec une égale dose de dogmatisme - dans une position non-rationnelle, il faut, à titre programmatique, renoncer à prendre appui sur des contenus entendus comme de simples posita. Une raison absolue recourt à des hypostases conceptuelles qui assèchent et appauvrissent la richesse de l'expérience au point d'exclure, puis de dissoudre, tout ce qui est rebelle aux critères de l'évidence intellectualiste. Inversement, le renoncement inconsidéré à la raison, la décision de ne reconnaître ce qui survient que comme quelque chose d'inéluctable, décourage et déçoit tout projet de compréhension. Un tel renoncement récuse en effet les facteurs noétiques qui sont à l'ouvre dans l'institution des événements, et rend donc impossible toute compréhension sensée, fût-elle même hypothétique, de l'expérience. S'ouvrir à la riche actualité phénoménologique de l'aistheton, c'est au contraire partir en quête des possibilités de la raison au sein même de l'opacité comme telle, sans l'annuler dans la transparence ni l'absolutiser comme autant de ténèbres impénétrables. Cette position se déploie donc dans l'ordre intermédiaire d'une pensée raisonnable, où les problèmes ne sont pas considérés comme un obstacle à la spéculation, mais comme les symptômes d'une réflexion non dogmatique parce que consciente du défaut de positivité déjà bien connu de Montaigne : « estant toutes choses subjectes à passer d'un changement en autre, la raison, y cherchant une reelle subsistance, se trouve deceue. » (Apologie de Raimond Sebond[6]). Dans la mesure où elle rappelle que ce sont les exigences de l'expérience qui donnent force à la pensée et non l'inverse ; dans la mesure où elle reconnaît que l'expérience est tension vers l'objectivité avant d'en être la constatation, position de problèmes et de questions avant d'être un cadre de solutions[7], la réalité de l'aistheton - comme manifestation prégnante de ces tensions et de ces exigences - se présente comme une question enracinée dans la vive opacité de l'expérience. Les catégories inspirées des positivités hypostatiques sont ici condamnées sans appel. Et ce qui est condamné avec elles, c'est toute forme de pensée qui ne reconnaît pas sa propre précarité en tant qu'expression d'un projet qui n'a vraiment de la valeur que pour autant qu'il démontre son efficacité[8].

La phénoménologie critique

7. La « phénoménologie critique » montre ici ses ressources.
Et tout d'abord parce qu'elle est critique : car si, d'un côté, l'exercice critique en tant que réflexion sur les limites vise à souligner le caractère conditionné et la validité réduite de tel ou tel objet d'analyse, de l'autre côté, et au moment même où il trace ces frontières, il garantit dans ces limites la valeur et le sens spécifiques de cet objet. On n'entreprend jamais de se livrer à l'exercice critique que dans une intention de valorisation, et non de stérile dénonciation des limites.
En second lieu parce qu'elle est phénoménologie : dans son acception même la plus simple, la phénoménologie se présente comme la recherche des implications de sens et d'ouverture qui constituent la trame de l'expérience, et c'est pourquoi elle se confond avec l'examen dynamique de quelque chose qu'il faut saisir dans son être-relation et son être-en-relation. L'examen phénoménologique tend au rétablissement du courant qui a procuré un positum, une res, c'est-à-dire de ce qui caractérise la realitas spécifique qui se coagule dans une donnée positive : elle est un examen opératoire de la positivisation et de la réalisation, en lieu et place d'un relevé passif de la positivité et de la réalité.
En troisième lieu parce qu'elle est, justement, phénoménologie critique : la réflexion se présente ici comme mise en relation des sens précaires, critiquement délimités, puisés dans ce qui, après l'epoché, est demeuré sous forme d'un réseau infini de relations entre des facteurs irréductibles à des entités (« ce qu'on appelle moi » et « ce qu'on appelle monde »). Tournée vers ces intersections de projets, la phénoménologie critique devient un organe d'intégration des exigences multiples et plurivoques qui conditionnent toute situation. Elle s'accorde ainsi avec sa dimension opératrice, et vise à com-prendre dans le double sens de «prendre ensemble» (mettre en relation) et de «prendre avec soi» (se charger de).

8. Cette réflexion sur la réalité de l'aistheton commence par mettre entre parenthèses toute thèse qui affirme la simple présence de telle ou telle donnée, ou qui la présume naïvement. Elle décrit un contenu qui ne s'épuise pas dans sa seule actualité, bien qu'il n'apparaisse pas non plus comme une réalité évanescente par rapport à quelque idéalité hypostatique. Par exemple, si l'on veut parvenir à la compréhension d'une ouvre d'art, il faudra accorder une importance toute particulière au halo des réflexions pragmatiques qui ont présidé à sa fabrication - qu'on pense à l'objet de la « Poïétique » définie par Paul Valéry. Comme horizon de la potentialité du sens, ce halo enveloppe, motive et soutient les choix accomplis par l'artiste, et ne mérite donc pas le mépris où, au nom d'une pureté spéculative aveugle, la tient une grande partie de la pensée intellectualiste. Dès lors, la question portant sur la réalité de l'aistheton n'est plus une question relative à son essence, mais à son sens, à son potentiel d'efficacité pour l'expérience humaine ; elle ne pose pas la question « qu'est-ce que », mais demande « comment » ouvre l'aistheton. En d'autres termes, elle se demande, lorsqu'un événement produit des effets, s'il obtient en retour des réponses, et de quelle nature elles sont ; s'il est ou non reçu de telle manière que ses effets s'exercent à long terme ; s'il doit ou s'il peut (ou bien s'il ne doit pas ou ne peut pas) être en relation avec quelque chose d'autre. Elle met ainsi au centre de l'attention l'horizon sensé et raisonnable qui, malgré tout, est conservé et attesté. En ce sens, on pourrait dire que la phénoménologie critique est une recherche de la raison et que, à la manière d'une skepsis moderne, elle oppose au dogmatisme de la définition la complexité protéiforme de l'expérience, qu'elle analyse en termes de relations, et donc sans céder au relativisme.

9. Souligner l'importance des relations, c'est mettre au premier plan la dimension de la modalité, selon quatre des significations possibles du terme. En premier lieu, la modalité désigne les aspects relatifs à la manière dont se présente un événement. En second lieu, la modalité oppose une conception alternative à une compréhension de l'être en termes de substances pures et absolues - au sens où, en logique, le possible et l'actuel servent de facteurs de modalisation de la prédication ontologique, et où, en grammaire, les verbes de modalité font varier la simple assertion constative. En troisième lieu, la modalité indique ce qui, dans le jugement, ne s'exprime pas au moyen de la fonction substantive (et statique) du subjectum, mais s'exprime dans et par la fonction verbale et qualificative du complexe du prédicat, et qui comprend donc quelque chose grâce au relief dynamique de son mode d'agir. En quatrième et dernier lieu, la modalité exprime la mobilité imprévisible de la relation une fois libérée de toute hypothèque dogmatique - ce qui revient à considérer la réalité comme une connexion entre des modes de correspondance et des sollicitations en direction de nouvelles correspondances.

Réalité modale, question du sens, performativité élocutionnaire

10. C'est un lieu commun de considérer l'aistheton comme un contenu intuitif et immédiat des sens. Un tel jugement est cependant fondé sur une conception douteuse de l'aisthesis : dans l'ordre du sensible, serait réel ce qui est passivement reçu, par opposition à la libre activité noétique. Dans la théorie de l'art, cette affirmation a pour corollaire une définition de l'artiste qui le présente comme celui qui parvient à recueillir quelque chose, sans trahir ce qu'il a recueilli dans l'expression qu'il en donne. On appellera alors trahison toute intervention visant à moduler, à modifier, à travestir la donnée intuitive, que ce soit sous forme de réflexion pragmatique ou d'élaboration technique de l'expression. En conséquence, tout comme l'aistheton, l'expression devrait à son tour être préservée dans sa pureté (native, lyrico-cosmique, ontologique et porteuse de vérités.[9]), et exclure en principe le labeur qui, mêlé à cette expression, accompagne la donation du sens. On retrouve cette manière de voir dans toute réflexion sur l'art qui relègue l'élaboration du sens de l'expression dans le champ de l'impureté psychologique ou de la réflexion impropre, inauthentique. Cette réflexion ne reconnaît en effet à l'aistheton qu'une valeur de document immédiat, servant à dévoiler une réalité noétique plus élevée.  Dans une telle perspective, de même que la vérité de l'aisthesis est antérieure et extérieure à elle, puisqu'elle réside dans la noesis elle-même séparée et solidifiée, de même la vérité de l'art est antérieure et extérieure à lui, puisqu'elle gît dans une formule théorétique.

11. Mais on peut également, et tout au contraire, insister sur le caractère d'exigence propre à l'intuition. On peut, autrement dit, reconnaître dans l'aistheton (comme, sur le plan culturel, dans l'ouvre d'art) le point de rencontre entre le déficit de sens où se situe l'expérience humaine et l'annonce d'un sens possible qui s'esquisse en vertu d'une perspective particulière de formation[10]. L'aistheton apparaît ainsi comme un résultat et un projet, et non comme une donnée ponctuelle et immédiate ; il apparaît comme un renvoi à des relations, dans la mesure où il est appelé (c'est-à-dire dans la mesure où il est engendré de manière opératoire) par l'indétermination qui nous saisit dans des situations historiques structurellement déficientes du point de vue de la netteté et de la consistance théorétiques. Si donc on n'aborde pas séparément la question de la réalité de l'aistheton et celle de la modalité de l'expérience, on doit apercevoir le lien qui noue cette réalité aux sollicitations suscitées par la déception en matière d'attentes de sens. C'est pour cela que la présence de l'aistheton implique par constitution une référence à la poïéticité de l'expression, à l'« intentionnalité » du sens. Si tout était déjà, en situation, pourvu d'un sens, on ne pourrait faire aucune expérience proprement dite, et il ne pourrait pas non plus y avoir de réalité, ni même de perception ou de sensation. Cette matrice relationnelle souligne l'importance de l'attente d'un sens (éludé, déçu, aperçu), à l'intérieur de laquelle seulement surgit le problème de la constatation et de l'interprétation de ce qui apparaît d'abord comme privé de sens. Autrement dit, elle met en relief un « en tant que » sémantique qui se révèle prioritaire par rapport au « en tant que » apophantique aussi bien que par rapport au « en tant que » herméneutique - pour reprendre et critiquer une tournure conceptuelle élaborée par Heidegger[11].

12. Point de rencontre entre déficit et potentialité de sens, l'aistheton présente - également - le caractère de l'exhibition, et donc de la configuration. La particularité poïétique de tout événement est due au lien plurivoque qu'entretient l'expérience avec la dimension du sens. Un acte d'expérience n'est pas seulement le lieu d'une simple réception ni d'un simple projet ; l'un et l'autre sont plutôt comme autant de moments complémentaires de l'indétermination qui caractérise la conditio humana. Tout acte d'expérience est une articulation actuelle mais prospective de cette indétermination. L'indéterminé est un facteur qui suscite à chaque fois de nouvelles déterminations. La potentialité du sens subsiste seulement et uniquement dans la manière dont elle est déterminée, en raccourci, au coup par coup de l'ici-maintenant, en activant un processus indéfini de ré-articulations, de re-déterminations. Ce qui est proprement ressenti, c'est ce qui se détache du halo anonyme de la situation d'expérience, et qui s'en détache parce qu'il devient un point de coagulation et de perspective proleptique autour duquel se met en place l'expérience elle-même. Ce point de perspective est donc une « impression-qui-s'exprime » dans la médiation et dans l'offre d'un sens, en donnant une actualité précaire (bien que, en situation, efficace) à ce qui est potentiellement, et qui ne s'actualisera jamais complètement, quoique ne subsistant que dans ses imprévisibles et diverses modalisations actuelles. En effet, sauf à le dénaturer, on ne saurait situer le potentiel ailleurs que dans des modes particuliers d'actualité, ni l'épuiser en aucun d'entre eux ; il est indétermination-à-déterminer, et ne peut délivrer aucun autre certificat de sa potentialité que son travestissement actuel, dans la série métamorphique de ses configurations.

13. Pour analyser la constitution figurale et métamorphique de la dimension esthétique et, plus généralement, de l'expérience, on peut recourir au modèle fourni par la structure de l'image. Celle-ci repose sur l'intersection entre des dimensions modales (potentialité et actualité) et entre des plans d'expérience (premier plan et arrière-plan), dont la spécificité risque d'être annulée par une spéculation confiée à la seule pureté du Concept. Or, dans cette tension non déterminante de la réflexion, il ne me paraît pas hasardeux de faire apparaître une analogie très étroite avec les dynamiques transcendantales étudiées par Kant dans la troisième Critique. On se contentera de rappeler ici la dimension relationnelle et ouverte qui caractérise la conception kantienne du sens commun et des idées esthétiques. La proximité de la troisième Critique devient surtout sensible lorsqu'on observe que le jugement de goût examiné par Kant se fonde sur un mécanisme de « pseudo-prédication » qui, à bien y regarder, peut être généralement étendu aux actes expressifs inhérents à la dimension esthétique. À s'en tenir au texte de Kant, la prédication de la beauté ne consiste pas dans l'attribution d'un prédicat à ce qui occupe la position du sujet dans le jugement de goût, mais concerne proprement le facteur subjectal de l'expérience (le point de vue, la réflexivité). Celui qui prononce un tel jugement, écrit Kant, « parlera donc du beau, comme si la beauté était une propriété [Beschaffenheit] de l'objet et comme si le jugement était logique (et constituait une connaissance de celui-ci par des concepts de l'objet) alors que le jugement n'est qu'esthétique et ne contient qu'un rapport de la représentation de l'objet au sujet »[12] (§6) ; en effet, lorsque « je déclare belle une tulipe singulière donnée », il faut entendre que je trouve universelle « la satisfaction que j'en retire »[13] (§33). Dans la qualification comme beau, le sujet accomplit donc un acte de prédication apparente (tout se passe comme si on avait affaire à des propriétés prédiquées), alors qu'en réalité, il articule la réflexivité et exprime l'horizon immanent, conceptuellement indéterminable, qui accompagne - en tant que facteur modal - l'expérience de « ce qu'on appelle monde ». En d'autres termes, loin de saisir des propriétés objectales, il exhibe une modalité de la réflexion qui, bien qu'elle exige une certaine détermination dans son expression, ne s'épuise pourtant pas en elle.

14. Ce phénomène de la pseudo-prédication n'est pas un phénomène défectif. Il caractérise l'articulation même de la dimension esthétique en tant qu'elle est irréductible à la dynamique purement idéale de la référentialité. À cet égard est paradigmatique le sonnet de Rilke, Archaïque torse d'Apollon[14]. Ce sonnet est construit sur la tension entre l'acéphalie de la statue (Wir kannten nicht sein unerhörtes Haupt, / darin die Augenäpfel reiften) et la fascination qu'elle exerce dans le medium oculaire en enlaçant le spectateur en d'infinis rayons visuels qui émanent du torse (denn da ist keine Stelle / die dich nicht sieht). L'effet esthétique exprimé par Rilke n'est certes pas le fruit d'un acte linguistique référentiel, constatif, même si le sonnet tout entier se présente comme une description ; plus exactement, la description coïncide ici avec l'institution de l'effet, lequel ne saurait être confondu avec un état illusoire engendré par une cause. On ne peut pas même dire qu'un contenu défini a précédé la description : la capacité visuelle du torse de pierre - qui en fait un « tu » adressé à chacun d'entre nous, c'est-à-dire une ouvre d'art qui produit des effets selon une modalité particulière - n'est effectivement présente que dans et par la description développée par le sonnet. L'effet esthétique coïncide donc avec sa propre énonciation sous forme de description. Pour comprendre ce phénomène, il n'est pas inutile de recourir à la terminologie forgée par Austin[15], qui nomme performatifs les énoncés non constatifs qui accomplissent l'action même qu'ils désignent. Privé de référent indépendant et subsistant par soi, l'effet esthétique en tant qu'expression n'est pas de forme constative ; et, plus précisément, dans la mesure où il accomplit une action en la décrivant, il est performatif. Austin a distingué différentes modalités de la performativité, et plus spécifiquement deux catégories d'actes performatifs : les actes illocutionnaires (dont l'effet est produit en parlant), et les actes perlocutionnaires (dont l'effet est produit par le fait de parler, comme sa conséquence). La performativité perlocutionnaire appartient au champ où se rencontrent des états subjectifs ou objectifs produits au sens propre (ici, par des actes de langage), comme la persuasion. Dans la mesure où ils ne consistent au contraire que dans leur énonciation, dans leur expression, les effets esthétiques présentent une affinité avec les actes de langage qui sont performatifs au sens illocutionnaire. Pour ne point toutefois forcer la pensée de Austin, et étant donné que la force d'accomplissement spécifique des actes de langage qui sont inhérents aux effets esthétiques coïncide avec leur capacité expressive, je propose de nommer cette espèce singulière de capacité illocutionnaire la performativité élocutionnaire, en soulignant ainsi le lien qui rattache ces actes de langage à des questions de style et de fiction, évidemment importantes dans le cas des produits de l'art.

15. La propension à l'accomplissement qui est associée à l'expérience esthétique se reflète emblématiquement dans l'exhortation péremptoire qui clôt le sonnet de Rilke: « Tu dois changer ta vie [Du mußt dein Leben ändern] ». Phrase énigmatique, à la fois parce que tout à coup elle donne une voix à l'appel qui provient du torse (tandis que, jusqu'alors, Rilke mimait une opération autoptique), et parce qu'elle marque le brusque abandon du registre visuel où se situe, sauf en cet endroit, le sonnet tout entier. Mais cette fraction de vers est surtout énigmatique pour cette raison que rien avant elle ne laisse présager semblable injonction à changer de vie. Le contraste s'aiguise alors, qui oppose une attitude de pure et simple contemplation de l'ouvre d'art (simulé dans la longue description du torse, de son effet) à une attitude, pour ainsi dire, de jouissance active de son message. Mais il y a là matière à équivoque. Cette phrase de Rilke est évoquée par des auteurs très différents, comme par exemple Lukács et Gadamer[16]. Or, dans leurs interprétations, dont les contextes et les intentions sont pourtant opposés, voire antithétiques, l'ouvre d'art et son effet sont également absolutisés, réifiés, à titre de cause efficiente d'effets perlocutionnaires radicaux (la condamnation de l'ordre politique capitaliste ; le bouleversement des coutumes de l'existence), qui sont exclusivement définis et justifiés du point de vue noétique. Mais si on prend en compte le caractère élocutionnaire de l'effet esthétique en tant que description, on pourrait au contraire entendre dans le « Tu dois changer ta vie » l'accomplissement de la performativité particulière immanente au sonnet, c'est-à-dire le point d'orgue de sa dynamique esthétique. Il s'agit en effet d'une invitation à entrer en syntonie avec un cadre possible d'articulation sémantique de l'expérience qui, en s'ajoutant aux cordes déjà tendues et prêtes à résonner, renouvelle la texture subjectale-objectale éternellement en quête de configurations concrètes inédites.

Conception opérative de la « noesis » et pensée par images

16. Il n'est pas superflu de se demander quelle est la forme de théorie la plus apte à accueillir cette conception de l'esthétique. On trouvera à cet égard quelques indications dans un essai du phénoménologue Eugen Fink[17], qui met en lumière une polarité entre deux sortes de noesis. On a d'abord ce qu'il appelle les « concepts thématiques », ceux par lesquels « la pensée fixe et conserve son pensé » (p.324). Mais ce que Hegel nomme « travail du concept » s'avère plus complexe qu'un rapport banal entre pensant et pensé. Ce travail est conditionné par des facteurs qui, lorsqu'on entreprend de thématiser un contenu idéal quelconque, s'imposent nécessairement : « en formant des concepts thématiques - écrit Fink - les penseurs créatifs emploient d'autres concepts et d'autres modèles de pensée, ils opèrent avec des schèma intellectuels qui eux-mêmes ne portent nullement à une fixation objectale » (p.324), et qui constituent le Begriffsmedium de la pensée elle-même (p.325). Ce champ d'efficacité non objectivable se confond avec l'operativité de la noesis ; or, on ne saurait thématiser un contenu noétique déterminé sans passer par son intermédiaire. Ce que la pensée utilise sans parvenir à le thématiser, parce qu'il l'accompagne comme son ombre, et qu'on pourrait définir comme « trans-noétique » (das so umgängig Verbrauchte, Durchdachte, aber nicht eigens Bedachte : cf. p.325), constitue pour Fink le moteur de la réflexion théorétique (cf. p.327). Cette raison «pour la route», ou «chemin faisant», intrinsèquement méthodique, sollicite et soutient la recherche de formes d'effectuation qui prennent sens dans la mesure où elles maintiennent une tension fertile avec le non-thématique, lequel n'aboutit pourtant à des expressions, aussi précaires soient-elles, que par leur intermédiaire. La noesis opérative bénéficie donc d'une singulière priorité par rapport à la noesis thématique, selon un schéma conçu par analogie avec une conception classique de la lumière entendue comme « ce qui n'est pas vu parce qu'elle est le medium du voir » (p.327).

17. C'est dans la conceptualité non-thématique que résident pour Fink les chances d'une activité théorétique efficace : « la force clarificatrice d'une pensée se nourrit de ce qui reste dans l'ombre de la pensée » (p.325). Selon lui, c'est même la dimension opérative d'une pensée qui constitue le véritable facteur productif de l'activité théorétique : « dans la réflexivité de haut niveau se répercute toujours déjà une immédiateté [au sens de quelque chose que la pensée thématique ne rencontre pas explicitement]. La pensée elle-même se fonde sur ce qui n'est pas de l'ordre du contenu de réflexion. Elle trouve son propre essor productif dans l'usage non réfléchi de concepts qui restent dans l'ombre » (ibid.). Dans une telle non-réflexivité ne s'exprime nullement une alternative à la réflexion, mais bien quelque chose qui attend sans cesse de nouvelles réflexions, en se projetant dans la relationalité vive de l'expression et de la communication. La connotation opérative de la pensée rend compte par conséquent d'une obscurité prégnante, inépuisable, et qui se présente dans des configurations partiales et prospectives. L'ombre qui plane sur tout effort d'éclaircissement conceptuel n'est en effet pas considérée par Fink comme un élément négatif qu'il faudrait éliminer. Elle marque de manière indélébile toute pensée humaine en tant que telle, puisque la « perspectivité » est tout à la fois la limite et la force de la nature finie de l'homme : « la compréhension du monde par l'homme pense le tout dans un concept thématique du monde qui est, cependant, une perspective finie, puisque pour sa formulation sont utilisés des concepts qui restent malgré tout dans l'ombre » (ibid.). Dans la conclusion de son essai, Fink rappelle quels sont les caractères d'une noesis finie tout autant que vouée à l'aisthesis, prospective tout autant que communicative et significative, en relevant que « l'ombre est un trait essentiel d'une activité philosophique finie », puisque schattenlos allein der Gott erkennt (cf. p.336).

18. Nous voici donc revenus, pour finir, à l'opacité de l'aisthesis comme dimension trans-noétique. Dans la mesure où sans cesse elle exhibe une potentialité de sens, l'aisthesis apparaît liée à une fonction symbolique. Non que sa présence soit abolie dans une constante référence à autant d'éléments hiérarchiquement supérieurs et surdéterminants : il ne s'agit pas d'une symbolicité «transitive». En tant qu'actuelle (phénoménologiquement et critiquement, c'est-à-dire comme modalité de présence d'une potentialité), l'aisthesis se réalise au contraire dans des renvois a latere qui en spécifient le sens symbolique en termes relationnels[18]. C'est pourquoi la compréhension de l'aistheton se confond avec un « mettre en relation » et - tout à la fois - avec un « prendre avec soi », chaque fois renouvelés, selon la féconde dualité de sens du terme cum-prehensio. Et dès lors qu'on n'oublie pas l'arrière-plan implicite qui enveloppe l'expérience, la pensée doit renoncer aux objectivités hypostatiques. Dès lors en effet, elle doit converger naturellement vers une position où la pure et simple conceptualité tend à être remplacée par le paradigme de l'image, en vertu de sa capacité à donner accès à la complexité et à la densité des événements de l'expérience sans renoncer aux projets d'une pensée raisonnable[19]. Il appartient tout particulièrement à l'image, en effet, d'accueillir en elle et d'exhiber l'arrière-plan, les relations, les implications, sur le fond desquels se détache le premier plan. On conclura donc que, lorsque la pensée manouvre entre les «séries de configurations» où se met en place l'expérience, non seulement elle se nourrit de la richesse des images, mais elle fait sien ce que Goethe a appelé le style, et qu'il a défini comme ce qui « repose sur les fondements les plus profonds de la connaissance, sur l'essence des choses pour autant qu'il nous est donné de la reconnaître dans des figures visibles et tangibles »[20] - et donc dans une prégnante dimension esthétique.

Pour l'aide dans la rédaction je voudrai remercier Philippe Audegean

[1]La présente communication a été prononcée a la Faculté de Philosophie de l'Université Lyon 3 «Jean-Moulin».

[2]Pour une première orientation sur la phénoménologie critique, cf. Luciano Anceschi, Progetto di una sistematica dell'arte (1962), Modena, Mucchi, 2de éd. 1983 ; Id., Il caos, il metodo, Napoli, Tempi Moderni, 1981 ; Id., Che cosa è la poesia ?, Bologna, Zanichelli, 1986 ; Id., Gli specchi della poesia, Torino, Einaudi, 1989 ; ainsi que Lino Rossi, Occasioni. Saggi di varia filosofia, nouv. éd., Bologna, Clueb, 2000. Il est également nécessaire de renvoyer aux écrits esthétiques d'Antonio Banfi (recueillis dans les Opere, vol.V : Vita dell'arte, Reggio Emilia, Istituto Antonio Banfi, 1988). On se reportera enfin aux contributions rassemblées dans Lino Rossi (éd.), Estetica e metodo. La Scuola di Bologna, Bologna, Nuova Alfa, 1990.

[3]Je me permets de renvoyer à Giovanni Matteucci, Immagini della vita, Bologna, Clueb 1995, et Id., Per una fenomenologia critica dell'estetico, Bologna, Clueb, 1998.

[4]Michel de Montaigne, Essais, III, XIII (P.U.F., « Quadrige », 1992, p.1066).

[5]En Italie, le débat a fini par s'étendre, dans la dernière décennie, à une grande partie des chercheurs en esthétique. En langue française me paraît emblématique l'ouvrage de Luc Ferry (cf. Homo Æstheticus, Paris, Grasset, nouv. éd., 1997). En Allemagne, on pourrait rappeler les positions récentes de Rüdiger Bubner, Odo Marquard, Ferdinand Fellmann, Wolfgang Welsch et Martin Seel. Voir, pour un premier aperçu, Lino Rossi, Occasioni III. Questioni e modelli di una storiografia dell'estetica, Bologna, Clueb, 1998, pp.168-191.

[6]II, XII, éd. citée, p.601.

[7]Cf. aussi Arnold Gehlen, Vom Wesen der Erfahrung (1936), in Id., Anthropologische und sozialpsychologische Untersuchungen, Reinbek bei Hamburg, Rowohlt, 1986, pp. 26-43.

[8]Je me réfère ici à la théorie des « evozierenden Aussagen » élaborée par Georg Misch (cf. Frithjof Rodi, Erkenntnis des Erkannten, Frankfurt a.M., Suhrkamp, 1990, pp. 123-146).

[9]Paradigmatiques sont ici les positions sur l'esthétique de Benedetto Croce et de Hans-Georg Gadamer.

[10]Cf. Enzo Paci, Orientamento estetico relazionista, in Id., Dall'esistenzialismo al relazionismo, Messina-Firenze, D'Anna, 1957, pp. 183-198 ; Lino Rossi, Occasioni III,  op. cit., pp. 105-147.

[11]Cf. Martin Heidegger, Sein und Zeit, §§ 32-33.

[12]Trad. Philonenko, Paris, Vrin, 1989, p.56.

[13]Ibid., p.120.

[14]Pour cette analyse de l'effet esthétique, et pour l'exemple du sonnet Archäischer Torso Apollos de Rilke, cf. Josef König, Die Natur der ästhetischen Wirkung (1957), in Id., Vorträge und Aufsätze, Freiburg-München, Alber, 1978, pp. 256-337.

[15]Cf. John L. Austin, How to Do Things with Words, Oxford, University Press, 1962.

[16]Gyorgy Lukács, Estetica, éd. it. par F. Fehér, Torino, Einaudi, 1975, pp. 525-526 ; Hans-Georg Gadamer, Ästhetik und Hermeneutik (1964), in Id., Gesammelte Werke, Bd. VIII, Tübingen, Mohr, 1993, p. 8.

[17]Cf. Eugen Fink, Operative Begriffe in Husserls Phänomenologie, « Zeitschrift für philosophische Forschung », 1957, pp. 321-337.

[18]On peut interpréter dans le même sens relationnel la « symbolische Prägnanz » analysée par Ernst Cassirer, Philosophie der symbolischen Formen, Bd. III, Berlin, Bruno Cassirer, 1929, p. 273 et sq.

[19]Cf. Jean-Jacques Wunenburger, La Philosophie des Images, Paris, P.U.F., 1997, p. 295.

[20]Johann Wolfgang Goethe, Einfache Nachahmung der Natur, Manier, Stil (1789).

 

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